BUFFY CONTRE LES VAMPIRES

Lorsque Buffy the Vampire Slayer déboule sans prévenir en 1997 sur la grille des programmes de la chaîne américaine WB, même les téléphages les moins exigeants ricanent : vu son format (12 épisodes), les responsables du département fictions de WB ont de toute évidence commandé au producteur-scénariste-réalisateur Joss Whedon un bouche-trou dont la durée de vie n’excédera pas une demi-saison.

Le postulat de base de la série est ridicule (une blondinette de 16 ans aussi balaise qu’une crevette et affublée d’un grotesque prénom de clébard administre la bastonnade à des vampires sur un campus californien à grands coups de mouvements de Tae Kwon Do) et elle bénéficie d’un casting « de rêve » : à part Sarah Michelle Gellar, l’interprète de Buffy, TOUS les acteurs sont de parfaits inconnus, parfois des débutants (comme Nicholas Brendon - Xander Harris –) ou carrément des anonymes castés dans les rues de Los Angeles (David Boreanaz, à qui l’on confie un rôle de premier plan, celui du vampire Angel). Tout ceci condamne à priori la série à rapidement retourner dans les oubliettes de la Pop Culture d’où elle n’aurait jamais du sortir, en particulier lorsque l’on considère que son embarrassant ancêtre, le film du même nom dont se sont rendus coupables en 1992 Joss Whedon et ses producteurs exécutifs (les Kuzui), est une abominable et irrécupérable purge. Malgré ces caractéristiques rédhibitoires, la curiosité des amateurs de Pop Culture est piquée au vif (« qu’est ce que c’est que cette série avec un pitch digne d’un manga de Rumiko Takahashi ? »). Ceux-ci, avec l’aide précieuse de leurs alliées de toujours, les gamines de moins de 13 ans (qui d’autres qu’elles pouvaient également se passionner pour les aventures d’une collégienne amoureuse d’un ténébreux suceur de sang ?), vont adhérer à la série et à son concept à priori crétin : surprise générale, Buffy the Vampire Slayer est une série excellentissime et fort logiquement, son succès est instantané.

Joss Whedon est reconduit par la WB pour des saisons supplémentaires et il va alors livrer à ses fans et au monde ébahi la plus improbable mythologie de Pop Culture de ces 15 dernières années : le Buffyverse. Ainsi, pendant 6 ans, le téléspectateur va voir évoluer à Sunnydale (la ville au 12 cimetières ; que les initiés préfèrent appeler « la Bouche de l’Enfer » …) une foisonnante distribution de Héros, de Vilains et de Monstres qui s’inspire des comics, des mangas, mais aussi d’œuvres plus classiques de la littérature fantastique.

On a donc, pêle-mêle : une bimbo insouciante et malicieuse (Buffy, of course) qui se retrouve catapultée « Tueuse Elue » et qui devient responsable de la survie de l’Humanité ; un beau et gentil vampire poseur nommé Angel qui se transforme bien vite en un démon sadique et retors ; une marionnette de ventriloque qui chasse les ghoules (!!!) ; des monstres (et parfois des craignos monsters …) aux noms exotiques (Machido, le célèbre Bezoar, le « Juste des Justes », le « Vaisseau », les frères Gorsh, etc …) ; un maire maléfique qui veut plonger le monde dans le chaos (et qui est malgré tout le personnage le plus sympathique de la série !) ; une tueuse de vampires jamaïcaine avec un accent « à la Ali G » ; une autre tueuse de vampires, Faith (elle est féline, redoutable, torturée, dominatrice et perverse et elle finira par basculer du côté obscur, mais c’est aussi une bombe sexuelle !) ; un attendrissant couple de sorcières lesbiennes ; une ex-démone de la vengeance absolument irrésistible ; une déesse complètement folle ; un guitariste lycanthrope de 1m55 ; une petite sœur de 14 ans « tombée du ciel » (Dawn « Dawnie » Summers, a.k.a. La Clé) qui menace « l’équilibre cosmique » ( ?) et que Buffy devra protéger envers et contre tous ; etc … ; etc … La liste peut se prolonger sur des pages et des pages…

Si les protagonistes du Buffyverse sont extrêmement diversifiés, ils sont surtout magistralement mis en scène dans une suite ultra cohérente d’épisodes à la richesse formelle et thématique estomaquante. La première saison pose les bases du Buffyverse et familiarise le téléspectateur grâce à la bonne vieille recette du « monster of the week ». Ce passage obligé est intelligemment exploité et dès le démarrage de la série, un nombre hallucinant d’arcs scénaristiques est mené à un rythme d’enfer (qui ne faiblira jamais) et les rebondissements, toujours d’une importance de premier plan, sont légions. Malgré cette débauche d’intrigues et de sous intrigues , la série reste lisible, brillante et Whedon donne rapidement le sentiment justifié de savoir EXACTEMENT où il va (on constatera rétrospectivement avec effarement lors des rediffusions qu’il truffe les épisodes d’indices cryptés sur la suite des événements, notamment dans les rêves des personnages, et ce parfois PLUSIEURS ANNEES A L’AVANCE).

Avec ses « aides de camps » (David Greenwalt, Michael Gershman, Bruce Seth Green et Marti Noxon, qui suivent son exemple et produisent, scénarisent et réalisent comme des oufs’), il est en train de construire une véritable saga évolutive, et les fans s’emballent lorsqu’ils prennent conscience qu’ils assistent à un événement majeur dans l’histoire des séries télé. Ils ont raison : dès le début de sa 3ème saison, le show Buffy the Vampire Slayer ne provoque maintenant plus la surprise mais l’admiration des téléspectateurs : la série évolue résolument vers une tonalité plus sombre (orientation déjà entamée dans la 2ème saison et même initiée lors du dernier épisode de la 1ère) et les personnages emblématiques du show souffrent mille tourments, lorsqu’ils ne sont pas carrément sacrifiés sur l’autel de la tragédie par leur créateur. Pour mieux servir et crédibiliser son œuvre, Joss Whedon n’hésite pas à tuer Kendra (la tueuse jamaïcaine), Jenny « Janna » Calendar (une bohémienne chargée de surveiller Angel) et il exile sans espoirs de retour Faith (Miss « craquage de slibbard » : ah ben oui, fallait bien la caser celle là…) et Oz (le loup garou existentialiste). Les fans savent dès lors qu’ils peuvent s’attendre à tout et décident d’accorder une confiance aveugle à Joss Whedon, qui ne les décevra jamais …

La série prend alors un nouvel essor et Whedon, farouchement déterminé à exploiter toutes les potentialités du Buffyverse, la fait s’envoler vers des sommets artistiques et dramatiques insoupçonnés. Les épisodes d’anthologie s’enchaînent à partir de la saison 4 : Whedon et son équipe paient leur dette aux maîtres du genre avec virtuosité (Burton et Elfman sont cités dans l’épisode muet 4-10 Hush ; le style de Lynch est symboliquement appelé en renfort pour démêler de manière abstraite et codée les enjeux de la saison 4 lors de son épisode final 4-22 Restless) ; mais ils osent aussi balancer à l’antenne des chefs d’œuvres qui ne doivent rien (ou pas grand chose) à personne et qui deviennent des classiques instantanés du 9ème art.

Il faut ainsi retenir le poignant 5-22 The gift (scénarisé et réalisé par Whedon) , qui clôt la saison 5 par un émouvant travelling sur la pierre tombale de l’héroïne (Buffy se sacrifie pour sauver sa sœur Dawn – et accessoirement le monde -) ou encore l’enthousiasmant épisode musical 6-7 Once more with feeling (encore scénarisé et réalisé par Whedon, il a aussi écrit paroles et musiques des chansons !) qui se paie le luxe, en plus d’être puissamment événementiel, de faire progresser des enjeux déterminants comme – excusez du peu ! - la relation Willow / Tara (les 2 sorcières lesbiennes) , le devenir de Dawn (la sœur-miracle de Buffy), la passion masochiste entre Buffy et le vampire Spike, les doutes de Giles ( le mentor de la tueuse) et le sort réservé au couple Anya / Xander (Anya est la fameuse ex-démone évoquée plus haut et Xander est un ex …loseur !). Bien sûr, dans Once more with feeling, les acteurs chantent et dansent sans doublure et certains laissent sur le cul les observateurs les plus réfractaires. Sarah Michelle Gellar (Buffy) fait plus qu’assurer, elle rayonne de classe ; Emma Caulfield (Anya) met le feu (« bunnies, bunnies, IT MUST BE BUNNIIIIIES !!! ») et les fans découvrent avec stupéfaction que Amber Benson chante comme un ange : son personnage (Tara) devient culte du jour au lendemain. Les fans de la série sont sur un petit nuage à la vision de ce qu’il est juste de qualifier de joyau télévisuel (il paraît même que certains ont en pleuré de bonheur…)

Le summum de la série avait cependant été atteint l’année précédente avec ce qui est objectivement et pour l’instant son meilleur épisode : le tétanisant 5-16 The body, (scénarisé et réalisé par qui, à votre avis ? ahem, je vois que vous commencez à comprendre…). The body est filmé de manière ultra réaliste et est stylisé en complète rupture avec les standards habituels de la série : on a exceptionnellement ici un montage haché et discontinu, des gros plans naturalistes à tomber à la renverse et des effets de dislocation de la durée. Pour accentuer le choc imposé au téléspectateur, l’illustration musicale brille par sa totale absence. Dans cet épisode, Whedon n’hésite pas à traumatiser ses personnages (et leurs fans !) en faisant subir à Buffy et sa jeune sœur Dawnie la plus terrible des épreuves : la mort de leur mère Joyce. L’épisode se termine par un plan terrifiant d’une dureté insensée, celui de Dawn approchant sa main du cadavre de sa mère pour toucher « le corps ». Buffy, à l’arrière plan, complètement fascinée par le tabou que sa petite sœur s’apprête à briser, contemple la scène comme hypnotisée et n’intervient pas. Un fondu au noir jette en urgence un voile pudique sur cette horreur absolue, alors que les doigts de Dawn ne sont plus qu’à quelques millimètres du visage du cadavre, et juste avant que le contact ne se fasse … Là aussi, on peut supposer que les fans étaient en larmes devant leur écran, mais cette fois ci pour d’amères raisons …

Ce best of des meilleurs épisodes ne serait pas complet sans l’épisode 6-17 Normal again où Whedon, plus gonflé que jamais et toujours aussi imprévisible déstabilise même les fanatiques les plus convaincus (les « Buffsters ») Normal again propose en effet une curieuse re-lecture de la série : il est possible que Buffy soit en fait une jeune psychotique internée dans un asile et que le Buffyverse soit sa création mentale (dans laquelle elle se réfugie pour fuir la réalité). Ce twist est extrêmement audacieux pour une série grand public alors en pleine maturité et il est tout sauf gratuit : son principal intérêt est de faire douter le téléspectateur sur le sens du thème principal de la série que l’on peut dès lors inverser radicalement : Buffy est-elle l’héroïne suprême qui triomphe vaillament de toutes les difficultés ou au contraire une lâche qui a complètement capitulé face à la vie réelle ? Le doute subsiste et Normal again fournit aux Buffsters les plus hystériques l’occasion de travailler du chapeau et d’exposer complaisamment sur le ouaibe diverses « théories » capillotractées …

Ces épisodes (entre autres…) prouvent aux inconscients qui pouvaient encore en douter que Whedon, en dépit de l’apparente ineptie de son argument de départ, n’a JAMAIS envisagé sa création sous l’angle de la pantalonnade et a brillamment réussi ce qu’il avait planifié DEPUIS LE DEBUT : faire de sa série la rencontre définitive entre un univers fantaisiste 100% Pop Culture et les thèmes principaux de la culture littéraire classique, voire de la tragédie. En effet, si Whedon est un des nouveaux princes de la Pop Culture (il a notamment co-scénarisé Toy Story, Alien Ressurection, Titan AEet l’Atlantide des studios Disney), il s’appuie AUSSI sur une solide base classique qu’il maîtrise de manière admirable (et ludique !).

Ainsi, il est évident que Buffy the Vampire Slayer revisite explicitement et volontairement les thèmes fondateurs du fond culturel occidental comme l’Eros & le Thanatos (Buffy ne tombe réellement amoureuse que de vampires …) ou l’ambivalence amour-haine dans la passion (on pense évidemment à la relation entre Spike et Buffy, qui s’achève par une tentative de viol (!) mais aussi, de manière plus rigolote, au flirt secret entre Xander Harris, loseur professionnel de son état et Cordelia Chase, la pimbêche du collège, dans la saison 2). La série comporte en outre de multiples références à la tragédie antique et à William Shakespeare : les élèves du lycée de Sunnydale passent leur temps à disserter sur les oeuvres du tragédien anglais et Blunt me souffle qu’il y a même un bad guy qui s’appelle (presque) Richard III ; et un autre surnommé « William The Bloody ».

De plus, Whedon ne se fait pas prier quand il s’agit d’insuffler un arrière plan psychanalytique à son œuvre (merci au Madnaute alec.empire pour ses lumières) : des variations sur les thèmes des contes de fées (les vampires, les monstres, les sorcières), du mythe du petit chaperon rouge / d’Alice au pays des merveilles (« Buffy contre les vampires » : vous voulez un dessin ?) ou encore du complexe d’Œdipe (que ce soit sérieusement, dans la peinture des relations Buffy-Giles, ou pour déconner, lorsque les personnages de la série massacrent une scène de la pièce « Oedipus Rex » lors du spectacle de fin d’année du collège) sont fréquemment et (presque) subtilement développées dans la série.

Il est de bon ton de conclure ce bilan des 6 premières saisons de Buffy the Vampire Slayer en soulignant que lors des saisons 5 et 6, Joss Whedon a peut être tombé le masque de la Pop Culture pour révéler ce qu’il est vraiment : un tragédien jusqu’au boutiste. L’évolution de l’ambiance de la série est signifiante : du fun décomplexé du début, on est passé à un Buffyverse cruel et souvent désespéré. Ce que sont devenus 2 des principaux personnages est d’ailleurs une illustration catégorique de cet état de fait : Buffy, autrefois une adolescente insouciante et toujours prompte à balancer moultes punchlines drolatiques, est maintenant une jeune adulte sans repère, dépressive et qui accomplit sa mission de tueuse comme un automate (elle est d’ailleurs remplacée pour de bon par le « robot Buffy » au début de la saison 6 !) quand elle n’est pas occupée à se complaire avec Spike dans le masochisme pour mieux se sentir vivante. La transformation de sa meilleure amie (qui fut la gentille et naïve Willow, une nerd toute mimi) est encore plus spectaculaire : lors du cataclysmique final de la saison 6 (qui se déroule tout de même sur 4 épisodes !) ; Willow devient après avoir été rattrapé par un destin implacable (son amour, Tara, est morte pour rien, frappé en plein cœur par une balle perdue alors que les deux amantes venaient de se réconcilier …) une effrayante et ténébreuse sorcière sous l’emprise d’effroyables forces de magie noire. Vengeresse, ivre de rage et n’ayant plus rien à perdre, elle torturera et écorchera vif le meurtrier de la douce Tara (et en gros plan s’il vous plaît, les cénobites de Clive Barker peuvent retourner chez leurs mères …) pour ensuite affronter Buffy sans état d’âme et être à deux doigts de détruire le monde, tout cela pour exorciser sa peine abyssale.

Les amateurs de Pop Culture qui seraient inexplicablement passés à côté de cet incontournable sommet du genre doivent donc impérativement se précipiter sur les indispensables coffrets des saisons 1 à 6 pour rattraper leur retard et s’immerger avec délices dans le Buffyverse avant de découvrir la septième saison (actuellement en cours de diffusion aux Etats Unis sur UPN). Officiellement, c’est confirmé, la saison 7 sera la dernière de la série ; Whedon transférera ensuite le Buffyverse vers ses multiples spin off et autres supports dérivés.

Officieusement, ce sera la meilleure. Evidemment.

+++ BIENVENUE A SUNNYDALE +++

francesco

Source: http://www.mad-movies.com

Dossier Mad Movies magazine.

Illustré par Ambrelune & Darkangelus

 

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